Octobre 2023
« Je travaille à L’Arrêt-Source depuis le 19 décembre 1989 ! J’ai longtemps été intervenante à la maison de 1re étape de L’Arrêt-Source, l’hébergement collectif offrant 9 places. Je suis désormais coordonnatrice des services, donc je fais le pont entre les différents services : hébergement de 1re et de 2e étape, post-hébergement, services externes et administration. »
« Après mon baccalauréat en criminologie, j’ai fait mon stage en milieu pénitencier, ce qui m’a permis de me rendre compte que je ne voulais pas travailler avec les agresseurs, mais que je voulais plutôt travailler auprès des femmes.
Je ne connaissais pas tellement les maisons d’hébergement, c’était assez nouveau comme services offerts à l’époque. Ce qui m’a vraiment attiré c’était d’offrir des services et de l’hébergement à long terme. Au début de L’Arrêt-Source, les services d’hébergement offerts étaient d’une durée d’un an. Au fil des années, nous nous sommes adaptées aux besoins des femmes, désormais elles peuvent habiter jusqu’à 3 ans dans nos maisons (1re et 2e étape cumulé).
Ce qui m’anime c’est aussi de travailler à faire valoir, notre expertise et nos compétences en tant qu’intervenante, à faire entendre notre voix en tant que milieu communautaire et surtout en tant que services professionnels et essentiels auprès de la population et des instances politiques.»
« Au départ j’ai plutôt choisi d’aider les femmes, que la cause des femmes violentées en particulier. À sa création, L’Arrêt-Source était dédiée aux femmes en difficulté et puis, au fil des années, nous nous sommes rendu compte que le point commun de toutes les femmes que l’on soutenait et accompagnait : c’était la violence. Nous nous sommes donc définis comme maison d’hébergement pour les jeunes femmes violentées.
Aujourd’hui, une des raisons qui m’anime beaucoup s’est de faire reconnaître dans le milieu, auprès du gouvernement et dans la société, toutes les formes de violences que vivent les jeunes femmes. Les violences genrées prennent toutes les formes : la violence familiale, la violence amoureuse, l’exploitation sexuelle, les gangs de rue, la violence basée sur l’honneur, etc. Toutes ces formes de violences ne sont pas nécessairement reconnues, c’est aussi à cela que je travaille lorsque je participe à des comités avec de partenaires d’intervention par exemple. »
«Je travaille à L’Arrêt-Source, car c’est de l’accompagnement à long terme qui est offert. C’est important pour moi d’offrir cette ressource, ça fait tellement une différence pour aider les femmes, c’est essentiel pour elles. Malgré leur jeune âge, les jeunes femmes que nous soutenons ont déjà vécu beaucoup de violences. Les femmes que je rencontre sont vraiment résilientes, ça m’impressionne toujours.
Encore une fois, c’est une cause qui me tient à cœur parce qu’elle n’est pas reconnue, à la fois, dans les services, par le gouvernement et dans le fonctionnement de la société. Voilà un exemple très concret :
Une femme qui est violentée par son conjoint, la société comprend qu’elle n’est plus avec lui et qu’il ne donnera pas de compensation financière. Pour les demandes de prêts et bourses, pour l’aide sociale, etc. c’est clair, c’est de la violence conjugale, donc ça rentre dans une case. Si une jeune fille a été abusée sexuellement par son père pendant des années et qu’elle demande ensuite des prêts et bourses, c’est autre chose. Cette violence-là n’est pas reconnue, alors elle ne pourra pas bénéficier des prêts et bourses ou de l’aide sociale. Elle devra demander à son agresseur, à son père, une contribution parentale pour vivre. Mais qui veut rester en contact et dépendant de son agresseur ?
Il y a encore beaucoup de travail pour faire reconnaître cette violence et pour éviter ce type de situation. »
« Mon travail c’est vraiment de coordonner l’ensemble des besoins et des services. J’ai une lecture de tout ce qui se passe dans chacun des services pour que l’on soit cohérente, que ça s’arrime partout et que le pont se fasse entre les résidantes et les intervenantes, les intervenantes et l’administration. En coordonnant, je dois aussi m’assurer que les services offerts aux femmes sont toujours de qualité.
Je suis là pour appuyer l’intervention, appuyer les décisions prises ou prendre les décisions lorsque nécessaire.»
« chaque année, je vois que les femmes violentées que nous accompagnons sont vraiment très seules. Très peu ont de la famille ou des amis sur qui elles peuvent compter. C’est très rare que les femmes partent la fin de semaine pour voir des proches, sortir ou aller au restaurant. Elles ne partent pas ou bien très peu en vacances, elles sont présentes dans nos services à Noël, la majorité d’entre elles n’a pas d’entourage.
Cette solitude, c’est l’une des choses qui me frappe le plus. D’année en année, les nouvelles résidantes font face à cette problématique, d’où l’importance de l’accompagnement au quotidien et à long terme. »
« Il y en a beaucoup ! En 35 ans, il y en a eu de belles histoires !
Parmi les femmes victimes d’inceste, certaines ont été capables de faire le dévoilement et ont finalement décidé de poursuivre l’agresseur, le père ou les parents, qui ont parfois une certaine visibilité publique. C’est courageux.
Il y a aussi eu de nombreux retours aux études, parfois très poussées : maîtrise, doctorat.
Certaines femmes, grâce et avec de l’accompagnement professionnel ont vu leur diagnostic de santé mentale évoluée, leur médication diminuée, pour parfois même sortir de la torpeur des médicaments.
Après avoir connu des institutions jeunesse ou des institutions médicales fermées pendant longtemps, certaines femmes sont finalement devenues autonomes. Elles ont appris à conjuguer la vie seule en appartement et le travail. Bien sûr, elles peuvent avoir des épisodes où elles vont moins bien, elles apprennent aussi à gérer leur santé mentale au quotidien, mais il n’y a plus d’hospitalisation par exemple. C’est une réussite vraiment importante. La stabilité de l’hébergement que l’on propose sur 3 ans, cela les aide vraiment pour aller mieux.
Nous sommes loin de la structure du départ, mais ce qui n’a pas changé depuis toutes ces années, c’est le courage de ces jeunes femmes qui sonnent à la porte de L’Arrêt-Source avec dans leur cœur l’espoir que demain sera meilleur.
Voir la grande capacité d’adaptation des femmes, leur résilience et leur courage, c’est toujours impressionnant.»
« Ce que je trouve le plus valorisant, c’est vraiment lorsque l’on réussit à établir un lien de confiance avec une femme. C’est ce lien qui contribue à la réussite de nos interventions. Cela peut être compliqué à mettre en place parce que les femmes accompagnées ont fait confiance à beaucoup de personnes dans leur vie, mais ça a souvent mal tourné. Alors quand elles essayent de faire à nouveau confiance, à notre équipe et que l’on arrive à créer ce lien, il se passe des belles choses. »
« Parmi les nombreuses jeunes femmes accompagnées, je pense à l’une d’elles qui était en dépression majeure lors de son arrivée à L’Arrêt-Source, elle était également dépendante. Elle a été accompagnée par notre équipe d’intervention et hébergée pendant 2 ans dans les services de L’Arrêt-Source. Elle a appris à se faire confiance, à nous faire confiance, à créer des liens avec d’autres femmes. Elle a terminé ses études et s’est épanouie au fil des mois.
Elle a ensuite quitté L’Arrêt-Source pour un appartement seule, rien que pour elle. Elle nous a demandé de l’accompagner dans cette nouvelle étape d’autonomie. Nous avons fait quelques suivis à son domicile, l’avons aidée à s’installer et à s’adapter dans son nouveau quartier.
Ce sont de nombreuses victoires, de belles réussites que l’on voit à travers son parcours, c’est vraiment impressionnant.»
« Ce que je trouve le plus difficile, c’est lorsque je ne sens plus l’espoir chez la jeune femme. C’est toujours un moment complexe. Ce manque d’espoir, cette période où l’on n’arrive plus à recréer le lien avec la jeune femme, cette impuissance, c’est vraiment ce que je trouve le plus difficile. »
« On peut toutes et tous faire quelque chose, chacune et chacun peut adhérer à une cause et la soutenir. Les services professionnels offerts par le milieu communautaire sont beaucoup utilisés, ils répondent à des besoins essentiels de la population. C’est primordial de les soutenir financièrement pour permettre à toutes celles et ceux qui en ont besoin d’y accéder. »
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