Témoignage de Martine, intervenante depuis 28 ans à L'Arrêt-Source

Octobre 2023

Depuis combien de temps travailles-tu à L’Arrêt-Source ? Dans quel service travailles-tu ?

« Moi je travaille à L’Arrêt-Source depuis 28 ans, je travaille au service d’hébergement de 1re étape, donc l’hébergement collectif qui offre 9 places dans notre maison pour jeunes femmes violentées. Les jeunes femmes accompagnées ont entre 18 et 30 ans, elles font face à diverses difficultés. Ce sont des femmes que l’on accompagne vers plus d’autonomie pour aller ensuite en appartement que ce soit dans nos appartements de 2e étape ou des appartements où elles sont complètement autonomes. »

Qu’as-tu fait comme études ? As-tu fait une spécialité ?

« J’ai commencé par faire un baccalauréat en psychologie, puis une maîtrise (j’ai fait toute la scolarité sans déposer mon mémoire), après quelques années j’ai entrepris de faire une autre maîtrise, cette fois-ci en service social. »

Pourquoi fais-tu ce métier ? Qu’est-ce qui t’anime dans ton travail ?

« Du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours été celle qui voulait aider. Même en école primaire, quand les petites filles se faisaient intimider, j’allais m’interposer. J’ai toujours entendu cet appel d’aider les gens directement, c’est quelque chose qui me nourrit beaucoup.

Et puis, de travailler auprès des femmes, de les accompagner au quotidien et de voir l’impact positif dans leur vie, ça a confirmé et conforté mon choix.»

Pourquoi travailler pour soutenir les jeunes femmes violentées ?

« Au départ la maison n’était pas identifiée comme dédiée aux femmes victimes de violences, c’était pour les femmes en difficulté. Ce que je trouvais intéressant c’était le fait de les soutenir dans différentes sphères de leur vie, la diversification des problématiques, mais ça n’a pas été long avant que l’on se rende compte que les femmes accompagnées avaient toutes ou presque vécu des violences.

Même à 18 ans, sans que ce soit nommé de la violence conjugale, elles sont nombreuses à avoir vécu des relations violentes dans leurs fréquentations. »

Pourquoi travailles-tu à L’Arrêt-Source spécifiquement ?

« Le point fort de L’Arrêt-Source pour moi, c’est l’aspect long terme et c’est l’une des raisons pour lesquels je travaille ici. Les femmes peuvent être dans nos hébergements jusqu’à désormais une durée de 3 ans. Le long-terme permet d’apprendre à bien connaître les femmes, le fait de vivre avec elles au quotidien va permettre d’observer des choses, qu’elles ne raconteront peut-être pas de vive voix.

On voit des aspects de la femme dans son quotidien qui peuvent être plus longs et difficiles à voir quand il s’agit de rencontre de suivi en consultation externe, parce qu’à ce moment-là, les femmes vont présenter leur réalité qui n’est pas nécessairement la réalité. Donc je trouve que c’est très riche de les côtoyer d’aussi près, ça devient aussi plus facile de créer un lien de confiance, ça fait une bonne différence dans l’accompagnement offert.

Un exemple très simple, lorsqu’une femme s’autosabote pour une entrevue d’emploi, par exemple elle ne va pas mettre de réveil, ou bien elle va se mettre en retard. Dans ces moments-là, on peut être du soutien concret pour éviter l’autosabotage.

Je travaille aussi  à L’Arrêt-Source, car nous soutenons les femmes qui vivent de la violence quelle qu’en soi la forme : familiale, basée sur l’honneur, gang de rue, conjugale, etc.

Travailler à L’Arrêt-Source, c’est travailler auprès des femmes sur plusieurs pans de leurs vies, c’est très diversifié et c’est ce qui me plaît aussi. Je reste en alerte, je ne me repose pas sur ce que je connais, le mélange des résidantes est toujours différent, ça amène aussi son lot de nouveauté et d’adaptation, je ne m’ennuie jamais.

On est aussi très connu du milieu désormais, on a de nombreux partenaires d’intervention. Et puis, on participe très régulièrement à des formations. L’Arrêt-Source, malgré les coûts, n’a jamais hésité à continuer de nous former pour toujours améliorer les services offerts aux femmes, et ça porte ses fruits.

Avec cette approche globale et le continuum de services offert à L’Arrêt-Source ça permet aussi de voir l’évolution des femmes à travers tout le processus. C’est gratifiant aussi pour nous dans notre travail.

Il y a quelques mois, j’ai reçu le courriel d’une femme, une ancienne résidante que j’ai connue lors de ma première année ici à L’Arrêt-Source. Elle m’écrivait à quel point L’Arrêt-Source a changé sa vie, qu’encore aujourd’hui, dans certaines situations il lui arrivait de se demander « Qu’est-ce que Martine m’aurait dit ?” Je ne dis pas ça pour flatter mon ego, je le dis dans le sens : c’est L’Arrêt-Source et le travail que l’on fait ici qui font une différence pour ces femmes. C’est un moment charnière et sensible de leurs vies, elles sortent d’un milieu très difficile pour arriver dans un endroit qu’elles ne connaissent pas, où elles doivent de nouveau essayer de faire confiance; alors quand on a des retours comme celui-ci de la part des femmes directement c’est toujours gratifiant et confortant dans notre action et notre mission. »

C’est quoi ta journée type à L’Arrêt-Source en tant qu’intervenante de jour ?

« Il n’y a pas tellement de journée type à L’Arrêt-Source, bien que quelques tâches soient récurrentes.

 La première chose lorsque j’arrive c’est le changement de quart : c’est le moment des transmissions d’informations avec ma collègue de nuit,  elle me fait un résumé des évènements important de la soirée afin de nous permettre de prendre le relais.

C’est important parce que ça me permet d’être plus à même de répondre aux besoins des femmes soutenues, d’assurer une démarche et une intervention cohérentes.

C’est un guide, tout cela permet aussi d’éviter de faire répéter à une femme des choses qu’elle a pu dire à une collègue qui sont traumatisantes à répéter pour elle, cela permet plutôt de poursuivre la conversation.

Ensuite, je m’adapte selon les demandes et les besoins des femmes. Je peux être amenée à faire des suivis individuels en complément du suivi hebdomadaire qu’elles font avec leurs intervenantes de référence, les aider dans leurs démarches administratives, les aider à préparer un souper,  être à l’écoute par exemple lorsqu’une femme à de la peine suite à un appel téléphonique difficile avec sa mère et qu’elle souhaite en parler, etc.

Quel que soit le sujet ou le besoin, notre bureau est toujours ouvert pour elles. »

Qu’as-tu découvert en travaillant auprès des femmes violentées ?

« On a beau savoir l’impact de la violence sur les femmes et dans leurs vies, de le voir c’est toujours difficile.

Les femmes viennent de tous les milieux et ont pour la plupart vécu des situations très difficiles. Elles ont seulement entre 18 et 30 ans et ce qui m’a toujours marqué c’est de voir l’étendue des dommages que la violence a pu faire à ces femmes-là qui sont si jeunes, voir cet impact sur la confiance, sur l’estime de soi, c’est terrible. »

Depuis que tu travailles à L’Arrêt-Source, vois-tu des changements positifs dans la vie des femmes ?

« J’en vois beaucoup des changements positifs dans la vie des femmes que l’on accompagne, c’est aussi la beauté du continuum de services. On a l’opportunité de voir l’évolution des femmes, du premier jour de leur séjour à la fin de l’hébergement et même après grâce au service de post-hébergement qui les soutient dans cette nouvelle étape de vie lorsqu’elles n’habitent plus dans nos maisons.

De nombreuses femmes nous disent : « Vous êtes comme la première famille saine dans laquelle je vis. » et je crois que ça vient du lieu de vie, de l’esprit de vivre ensemble et de la proximité que l’on offre dans nos maisons.

Parmi les nombreux changements positifs que je vois, je pense à l’histoire de cette femme :

Ce n’était pas facile, elle est arrivée au Canada avec sa mère qui elle, avait la nationalité canadienne. Cette jeune femme était venue en congé, sa mère était malade d’un cancer qui l’a finalement emportée. Le père biologique de cette jeune femme, qui était resté dans leurs pays d’origine, était très violent. La jeune femme, elle, avait un statut de visiteur au Canada donc un risque de devoir retourner dans son pays d’origine, à tout juste 18 ans.

Elle est restée un moment chez ses grands-parents qu’elle connaissait très peu, elle a eu un conjoint qui était lui aussi très violent et puis elle a reçu un avis d’expulsion de l’immigration Canada. Elle était très démunie face à tout cela. Je l’ai accompagnée pour travailler avec elle la violence qu’elle a vécue, elle avait du mal à l’accepter, accepter que c’était de la violence qu’elle vivait, mais ça a fait son chemin. Elle a donc laissé son conjoint, une étape importante vers une vie loin de la violence. On a fait de nombreuses démarches auprès de l’immigration ce qui lui a permis de rester ici, au Canada, loin de la violence de son père.

Aujourd’hui elle est maman, elle est mariée et elle nous appelle encore pour nous donner de ses nouvelles.

Il y a beaucoup des histoires de femmes qui étaient prises dans relations tellement malsaines et toxiques, avec qui on a réussi à travailler pour identifier tous les enjeux afin qu’elles se sortent de ces relations-là, ce sont vraiment des belles réussites. »

Qu’es-tu fière d’avoir accompli à L’Arrêt-Source ?

« Je te dirais que la chose dont je suis la plus fière et la plus satisfaite c’est de ne pas avoir perdu le feu, l’intérêt et la passion d’aider les femmes. On évolue en même temps qu’elles, on modifie les services, tout est en mouvement.

J’y crois à L’Arrêt-Source et au travail que l’on fait. J’y crois puis je l’ai vu et je le vois encore que ça fait une différence pour les femmes. »

As-tu une anecdote d’une réussite à nous partager ? De l’impact positif de ton travail pour les femmes accompagnées et la communauté ?

« Des réussites des femmes il y en a beaucoup !

Voir les femmes affronter et traverser leur peur, de les voir se dépasser, de les voir fières de leur évolution, fières d’aller dans leur premier appartement que ce soit dans nos appartements de 2e étape ou complètement autonomes, tout cela ce sont des réussites des femmes.

On reçoit souvent des courriels d’anciennes résidantes qui nous donnent de leurs nouvelles ou bien la visite de femmes qui viennent nous présenter leurs bébés. Pour nous, c’est aussi un signe que leurs passages à L’Arrêt-Source les ont vraiment aidés, elles savent qu’elles ne sont pas des numéros pour nous et que la porte est toujours ouverte.»

Qu’est-ce qui est le plus difficile lorsque l’on est intervenante auprès des jeunes femmes violentées ?

« C’est certain qu’il y a des choses difficiles et compliquées, mais cela fait partie du processus. Pour moi, le plus dur c’est de voir les femmes qui ont vécu des relations toxiques et violentes, retourner dans cette relation, voir que cela peut prendre plusieurs tentatives avant qu'elle quitte définitivement cette relation toxique, ce conjoint violent. C’est difficile, mais on sait que ça fait partie des étapes. Il faut l’accepter et être présente pour elles, lui montrer que la porte est toujours ouverte pour les soutenir et les accompagner.

Un autre élément par exemple, c’est lorsque les femmes qui arrivent ici perçoivent l’autonomie comme une liberté totale, sans règles, sans cadre, elles ont de la difficulté à supporter celles de notre maison et qu’elles quittent L’Arrêt-Source. On a vu beaucoup de femmes partir comme cela puis revenir plus tard en ayant compris pourquoi ce cadre existe pour leurs mieux-être.

J’ai un exemple très précis d’une femme qui avait quitté L’Arrêt-Source pour cette raison puis dont la travailleuse sociale nous avait appelés quelque temps après, c’est moi qui l’avais eu au téléphone. La jeune femme a reconnu ma voix, puis quand je lui ai dit qu’elle pouvait venir faire une entrevue d’admission pour revenir habiter dans notre maison d’hébergement elle était tellement émue, elle m’a dit « Je pensais que vous ne voudriez jamais me reprendre vu comment je n’ai pas été fine quand j’ai habité ici. ». Mais bien sûr qu’on les accueille !  

Ce qui me rassure c’est qu’elles savent que l’on existe, qu’on est là pour elles, que la porte est ouverte, et qu’elles reviennent c’est un  grand pas pour elles. Et puis pour toutes celles qui ont fait un séjour à L’Arrêt-Source, elles peuvent bénéficier du service de post-hébergement de L’Arrêt-Source qui peut les soutenir et les référer dans nos maisons d’hébergements. »

Comment peut-on soutenir les femmes violentées, soutenir la cause et L’Arrêt-Source ?

« L’une des premières choses à mon sens c’est de s’éduquer, de se renseigner sur les impacts de la violence (itinérance, dépendance, etc.), c’est le rôle de chacun. S’informer sur les réalités des femmes violentées, de toutes les problématiques auxquelles elles font face c’est important pour se rendre compte des différentes réalités qui existent encore aujourd’hui. On est toutes et tous concernées.

Les féminicides sont les résultats, le pire résultat de la violence. Cela ne survient pas de nulle part et la mauvaise information, la mauvaise médiatisation n’aide pas à faire comprendre la réalité.

Et puis, connaître des ressources et leur donner de la visibilité aussi c’est important. Le réseau des maisons d’hébergement n’est pas très connu, mais plus on est connu, plus on peut rejoindre les femmes qui ont besoin de notre aide et qui parfois ne nous connaissent pas.

Pour les personnes qui ont dans leurs entourages des femmes victimes de violences, si vous ne savez pas comment les soutenir, vous pouvez nous appeler pour avoir des conseils. En ayant connaissance des ressources, vous pourrez aussi en informer vos proches, c’est une manière d’aider.

Malgré les budgets développés, il manque encore des services et des ressources à long terme alors c’est important de soutenir tout le réseau déjà existant et de soutenir son développement pour faire face aux besoins. »

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